TESTO DEL LIED

"Au pays musulman"
di Henri de Régnier (1864-1936)

Peut-être si j'avais choisi mon temps où vivre,
Eussé-je, grave et doux, vieilli sous le turban
Et ma vie eût passé ses jours calmes à suivre
L'ombre du cyprès noir et du minaret blanc.

Dans la fraîche mosquée où mille fleurs sont peintes
Sur la faïence lisse autour du nom d'Allah,
J'aurais, les yeux levés vers les lampes éteintes,
Attendu qu'Azraël à mon tour m'appelât.

À la fontaine pure où coule une onde claire,
J'aurais lavé mes pieds, mon visage et mes mains
Et prosterné mon corps au tapis de prière,
Chaque fois qu'au ciel bleu chantent les muezzins.

Et sur la Corne d'Or, par la nuit étoilée,
Mon Caïque eût fendu le flot pareil aux cieux
Et ma femme, pour tous jalousement voilée,
N'eût montré qu'à moi seul les astres de ses yeux.

Ainsi j'aurais vécu dans la demeure close,
Mêlant, à la senteur en feu du tabac fin,
Le parfum du Sental et l'odeur de la rose,
Sous quelque vieux sultan au nom sonore et saint.

Et dans le cimetière où se pressent les tombes
Harmonieusement et du haut des cyprès,
La vois des rossignols et la voix des colombes
Enchanteraient, là-bas, mon sommeil sans regrets.

Mais, qu'importe la vie à qui peut, par son rêve,
Disposer de l'espace et disposer du temps?
Qu'importe, puisque j'ai, d'une illusion brève,
Satisfait pour jamais mon désir d'un instant!

Et qu'à travers Stamboul et dans la verte Brousse,
J'ai ressenti l'attrait du pays Musulman
Où s'allonge, le soir, sur la terre âpre et douce,
L'ombre du cyprès noir et du minaret blanc.